Selon une enquête réalisée auprès de 3.000 Belges sur l’attractivité des professions, le métier de pêcheur atterrit tout en bas du classement. Mais cette place est-elle vraiment méritée? Nous sommes partis en quête d’une personne pour qui la magie et les défis du métier n’ont aucun secret. Et nous avons trouvé Noël Dugardin, un Nieuportais âgé de 72 ans, ancien navigateur sur les eaux islandaises. Il nous emmène dans l’univers impitoyable mais captivant de la pêche: l’appel de la mer, les dures épreuves et sa vision pour rendre la profession plus attrayante aux yeux des générations futures.
un appel irrésistible
Pour certains, la mer est une vocation, pour d’autres un héritage familial. Pour Noël, ce fut les deux. La pêche était inscrite dans ses gènes: son grand-père, ses oncles, deux frères et son beau-frère étaient pêcheurs. Lui-même a ressenti cet appel irrésistible de la mer dès le plus jeune âge. Néanmoins, ses parents nourrissaient d’autres ambitions pour lui. Au lieu de l’inscrire à l’école de pêche, ils l’ont envoyé à l’internat à La Panne, où il était censé suivre une formation de charpentier.
«Je ne tenais plus en place», se souvient Noël. «À 11 ans, j’accompagnais déjà mon beau-frère en cachette lors de ses sorties nocturnes en mer. Je racontais que j’allais dormir chez ma sœur mais en réalité, je prenais le large avec lui. Jusqu’à cette nuit où... nous avons croisé un navire en détresse, l’équipage a grimpé à notre bord et la police maritime nous attendait sur les quais. Je n’avais absolument pas le droit d’être là. Ils ont dû me cacher.»
Le tournant s’est opéré grâce à un allié inattendu: le directeur de l’internat. Suite à une altercation avec un professeur, les parents de Noël ont été convoqués à un entretien. Le directeur a été implacable: pas question que Noël y remette les pieds. Mais il s’est alors tourné vers sa mère pour lui lancer: «Madame, vous ne voyez donc pas que ce garçon veut prendre la mer?...»
Ce fut donc chose faite. À 15 ans, Noël a embarqué comme garçon de cabine. Son baptême du feu? L’Islande. «Ils m’ont tendu l’almanach du pêcheur en ajoutant: ‘Tiens, commence par t’instruire.’ Aucun luxe, aucun encadrement. Très peu de sommeil. J’ai dû tout apprendre sur le tas. Et terriblement souffert du mal de mer. Mais l’abandon ne faisait pas partie de mon vocabulaire. Au bout de trois voyages, je connaissais les ficelles du métier.»
Lorsqu’à 18 ans, il est retourné sur les bancs de l’école, il se sentait fin prêt. «J’ai bûché comme un fou à l’école de pêche et obtenu la grande distinction. Ensuite, tout est allé très vite: à 21 ans, j’étais capitaine de navire et à la tête de mon propre équipage.»
les pêcheurs sont bien plus que des collègues
Être pêcheur, c’est travailler jusqu’à l’épuisement. «Dormir? Parfois, une demi-heure allongé sur son lit, mais si les circonstances l’exigeaient, il fallait continuer. Le travail ne s’arrêtait jamais. Jamais. Il fallait rentrer les filets, trier, nettoyer,...» raconte Noël.
La mer, quant à elle, est sans pitié. Noël l’a vécu de près: un jour, la coque de son navire a été percée par un morceau de fer provenant d’une épave. En 4 minutes, le navire s’est enfoncé dans la mer. À l’aide d’un radeau et de fusées éclairantes, il a réussi à sauver son équipage, jusqu’à ce qu’un confrère britannique le repêche à 8 milles de la côte. Lui-même a secouru de nombreux naufragés. Et puis il y a eu cette fête de Noël manquée, piégé qu’il était dans les eaux islandaises par une perfide «gelée noire». 13 jours d’immobilisation, l’impasse totale.
Mais malgré le dur labeur et les conditions infernales, il régnait à bord une franche camaraderie: «Nous étions aussi soudés qu'un banc de poissons. Nous étions bien plus que des collègues. Nous formions une famille et faisions tout ensemble. Même à terre: logique quand vous dépendez très fortement les uns des autres pour vos vies et survies en mer.»
de garçon de cabine à capitaine, de pêcheur à fabricant de filets
Qu’est-ce qui rendait le métier de pêcheur si attractif aux yeux de Noël? Pour lui, ce n’était pas tant le salaire qu’il gagnait en partant pour des missions d’un mois que la camaraderie et les contacts internationaux qu’il nouait avec d’autres pêcheurs et collègues. Le contenu proprement dit de son boulot le fascinait au plus haut point. Ce métier lui procurait une infinité de perspectives d’apprentissage et de progression.
«Le pêcheur et le capitaine de navire doivent maîtriser toute une panoplie de compétences», confie Noël. «C’est une profession extrêmement vaste: il faut savoir parler d’autres langues, naviguer, travailler en équipe, supporter des conditions météorologiques extrêmes... et je ne parle même pas de la pêche proprement dite.»
Noël a fait carrière. De garçon de cabine à capitaine de navire. De pêcheur à fabricant de filets. Car, pour reprendre ses termes: «Quand on connaît vraiment son métier, on peut continuer à le pratiquer à terre.»
Même retraité, il n’a pas dit adieu à la pêche. Trois jours par semaine, il exerce encore comme expert renommé dans la conception et la fabrication de filets. Des autorités, mais aussi des professionnels néerlandais, français et anglais ont déjà fait appel à son expertise. Et de loin en loin... il lui arrive encore de les accompagner en mer.
c’est en mer qu’on devient pêcheur
Le métier de pêcheur était déjà considéré à l’époque, se souvient Noël, comme un choix faute de mieux. En atteste d’ailleurs son propre parcours, lui qui a dû se battre pour suivre sa vocation.
«Aujourd’hui, les jeunes craignent le travail pénible, les horaires irréguliers et les conditions difficiles. Mais c’est surtout la bureaucratie qui rend le métier de pêcheur de moins en moins attractif.»
Pourtant, Noël situe le gros du problème ailleurs: «La perception négative commence par les parents. On déconseille aux enfants qui veulent prendre la mer de devenir pêcheurs. Et quand bien même ils parviennent à surmonter l’obstacle, ils perdent leur motivation sur les bancs de l’école avant même d’avoir pu faire l’expérience du métier.»
Lui préconise une autre approche: «Aujourd’hui, il faut des papiers pour tout, et plusieurs années d’étude en amont. Autant de freins qui détruisent leur vocation. C’est en mer qu’on apprend le vrai métier, pas seulement à l’école. Les jeunes devraient pouvoir naviguer dès l’âge de 15 ans. Non pas en suivant 6 semaines de stage et 6 semaines de cours, mais en faisant une véritable plongée dans la vie de pêcheur. À eux ensuite de retourner sur les bancs de l’école lorsqu’ils se sentent prêts. Découvrir la profession à 18 ans, c’est trop tard. Leur envie s’est déjà émoussée et d’autres priorités ont pris le dessus.»
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