« La conclusion la plus frappante de notre étude est que le citoyen moyen adopte une position assez réfléchie et nuancée sur l’immigration. » Jan Denys (Randstad Research) a mené une étude sur l’acceptation sociale de l’immigration en Belgique. Les résultats ont de quoi surprendre et devraient faire réfléchir le monde politique. « Ce rapport présente un reflet de la société aux partis, mais c’est à eux de décider d’en tirer les conséquences. »
Pour cette étude, Randstad a soumis un questionnaire en ligne à un groupe aussi représentatif que possible de 3 000 répondants. La première batterie de questions concernait l’immigration en général. Ensuite, l’étude a examiné de plus près les différentes facettes de cette problématique (immigration légale, asile et immigration illégale). « L’immigration est un phénomène complexe au sein duquel il convient de distinguer différents aspects. Cette approche confère à notre étude un intérêt tout particulier. »
grand groupe à l’avis nuancé
« En ces temps polarisés où le populisme a le vent en poupe, on pourrait craindre que les citoyens adoptent une position assez extrême sur une question aussi sensible. Pourtant, lorsque l’on rassemble toutes les pièces du puzzle et que l’on étudie l’immigration sous tous ses aspects, on constate que la plupart des gens ont un avis nuancé sur ce sujet. C’est une conclusion étonnante et, surtout, encourageante. »
Jan Denys ne nie pas l’existence d’opinions extrêmes, mais voit surtout un large groupe intermédiaire. « La question de l’ouverture ou de la fermeture des frontières, par exemple, débouche sur la formation de deux camps extrêmes qui récoltent chacun environ 15 %. Cela signifie que quelque 70 % des personnes se situent entre les deux et ont des opinions plus nuancées sur la question. Cette situation se reflète dans plusieurs parties de l’enquête. »
soutien (fragile) à l’immigration de travail
« À première vue, l’opinion publique sur l’immigration est plutôt négative », poursuit Jan Denys. « Mais si l’on creuse un peu, on constate que la réalité est plus nuancée. La majorité de la population ne remet pas en cause les grands principes du droit d’asile ou du regroupement familial. Ceux-ci bénéficient d’un soutien réel, mais fragile. Les critiques portent généralement sur la manière dont ces principes sont appliqués, par exemple en cas d’interprétation trop souple de la notion de regroupement familial. »
L’immigration de travail jouit également d’une large acceptation, notamment en raison de la pénurie sur le marché de l’emploi. « C’est une autre conclusion très importante de cette étude. Au sein de l’électorat de tous les partis, même du Vlaams Belang, une majorité est favorable à ce type d’immigration. Selon Jan Denys, le gouvernement doit en tenir compte dans sa réflexion sur la politique à mettre en œuvre. « On peut s’interroger sur la nécessiter de simplifier les procédures pour faire venir des travailleurs immigrés. Cela dit, il se peut aussi que l’opinion positive des citoyens à l’égard de l’immigration de travail s’explique précisément par les réglementations strictes en la matière. En d’autres termes, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. »
Tout cela amène Jan Denys à croire que ce ne serait pas une mauvaise idée de mettre davantage l’accent sur le travail dans les questions politiques liées à l’asile et au regroupement familial. « Il se pourrait que cela améliore l’opinion publique à cet égard », estime-t-il. « Le travail est vraiment un facteur crucial. Si les immigrés ont un emploi, alors le problème est résolu en grande partie. »
différences entre partis politiques
Quoique le soutien pour les positions extrêmes reste limité, il existe bel et bien des différences entre les partis politiques. « À vrai dire, c’est précisément le facteur de la préférence politique qui, de manière quelque peu surprenante, a généré les plus forts contrastes, davantage que les autres variables sociodémographiques. Nous avons donc accordé une place de choix à ce facteur dans le rapport. Notons que, en plus de 20 ans d’études pour Randstad, c’est la première fois que l’affiliation politique ou l’idéologie joue un rôle si prépondérant. Non sans raison bien sûr, car l’immigration est désormais une question politisée. »
Jan Denys reprend l’exemple de l’immigration de travail : « Dans ce contexte, les électeurs des partis libéraux et chrétiens s’expriment le plus positivement, tandis que les partis écologistes enregistrent un score moyen. C’est surprenant, car globalement, ces derniers sont les plus progressistes en matière d’immigration. »
divisions internes
Cela ne s’arrête pas aux différences entre les partis. L’enquête montre qu’aucun d’eux ne dispose d’un électorat homogène. « Nous observons de fortes dissensions au sein même des partis politiques. Par exemple, pas moins de 30 % des électeurs du Vlaams Belang, le parti le plus radical et le plus critique dans le débat sur l’immigration, rejettent l’idée d’un arrêt de l’immigration. Et ce, alors qu’il s’agit d’une position officielle du parti. »
« En conséquence, les partis rechignent à s’exprimer de manière tranchée dans le débat sur l’immigration, de peur de perdre des votes. Plusieurs partis ont des problèmes sur ce point et devront fournir un gros travail de clarification. Il leur faudra engager le dialogue avec leur électorat. Être à l’écoute de ses électeurs est, bien sûr, essentiel en politique, mais au-delà de cela, il y a bien sûr certaines convictions et valeurs que l’on veut transmettre. Il faut parfois défendre fermement des points du programme qui s’inscrivent dans l’ADN du parti. On risque certes de perdre un certain nombre d’électeurs, mais d’autres pourraient venir les remplacer. »