En Belgique, le marché du travail peut se prévaloir d’excellents résultats en ce début de 2022. Contre toute attente, le rebond de l’économie a permis de renouer rapidement avec le niveau d’avant la crise. Jan Denys, expert du marché du travail, estime que cette embellie devrait se poursuivre dans les prochains mois, tout en mettant en garde contre une pénurie croissante.
On a déjà pu se rendre compte au cours de l’année 2021 que l’emploi évoluait favorablement dans notre pays, et ce malgré les répercussions économiques de la pandémie. « Dans une économie sous perfusion, l’emploi a bien résisté », titrait le Conseil supérieur du travail dans son rapport de juillet dernier. Une analyse que partage Jan Denys : « Notre marché du travail a su relever les défis posés par le COVID-19. L’économie a connu une forte croissance, de sorte que notre taux d’emploi est presque revenu à son niveau d’avant la crise, déjouant toutes les prévisions. »
Dans le peloton de tête européen
Si l’on compare les chiffres du dernier trimestre précédant la crise du coronavirus (fin 2019) avec ceux du troisième trimestre 2021, la reprise est clairement perceptible.
- La Région flamande affiche un taux d’emploi de 76,2 % (contre 75,7 % fin 2019), celui-ci est de 65,8 % en Région wallonne (contre 64 % fin 2019) et de 62,6 % à Bruxelles, soit presque le même qu’il y a deux ans (62,3 %).
Notre taux de vacance d’emploi, c’est-à-dire la proportion d’emplois vacants par rapport à l’ensemble de la population active, s’élève à 4,7 % au début de 2022. « Il s’agit du deuxième taux le plus élevé de l’Union européenne après la République tchèque », souligne Jan Denys.
« En raison du COVID-19, cet indicateur était tombé à 2,9 % au quatrième trimestre de 2020. Si l’on compare avec le troisième trimestre de la même année, le taux de vacance a désormais progressé de 1,4 point de pourcentage. Il s’agit de la troisième plus forte augmentation. Seuls les Pays-Bas et le Danemark font mieux, mais le chômage est beaucoup plus faible dans ces deux pays. »
les défis à relever en 2022
Le bon bulletin de 2021 permet d’envisager cette nouvelle année avec optimisme. « Pour l’instant, il semblerait que nous sommes en passe de battre des records », déclare Jan Denys. Il s’empresse toutefois de préciser qu’une série de défis se profilent également à l’horizon.
1. La pénurie se poursuit
La pénurie et la guerre des talents resteront des phénomènes à suivre de près en 2022. Selon Jan Denys, remédier à cette pénurie constituera le défi majeur de cette année. « Le taux d’emploi va continuer à augmenter, mais plus lentement qu’en 2021 », prévoit-il. « Le nombre et la proportion de postes vacants non pourvus vont aussi aller croissant. À très court terme, nous devons en outre gérer une cinquième vague de coronavirus. L’absentéisme pour cause de maladie continuera à être une réalité, en plus de la pénurie actuelle. »
Le nombre et la proportion de postes vacants non pourvus vont aussi aller croissant. À très court terme, nous devons en outre gérer une cinquième vague de coronavirus. L’absentéisme pour cause de maladie continuera à être une réalité, en plus de la pénurie actuelle.
Il faut toutefois se garder de conclure trop vite que le travail temporaire va immanquablement se retrouver dans la tourmente. Même s’il est vrai que la saturation du marché complique la tâche des sociétés intérimaires en termes de recrutement de candidats. « En 2022, nous devrons employer tous les moyens imaginables pour débusquer les talents », reconnaît Jan Denys. « Il s’agit d’un défi de taille pour notre entreprise, qui devra s’atteler à améliorer ses performances, voire à se réinventer quelque peu. »
2. recourir davantage à l’activation
Pour contrer le problème de la pénurie croissante, les responsables politiques misent de plus en plus sur l’activation des chômeurs de longue durée. Il est certain qu’à Bruxelles et en Wallonie, compte tenu du niveau actuel de l’emploi, cette piste de réflexion peut s’avérer utile. Mais même la Flandre a tout intérêt à doper l’activation. « La Flandre est proche du chômage frictionnel », constate Jan Denys. « On n’y trouve plus beaucoup de candidats à l’embauche, mais il n’empêche que, là aussi, on peut miser davantage sur l’activation. La Flandre doit donc mieux exploiter sa réserve de main-d’œuvre : les malades de longue durée, les femmes immigrées, les personnes âgées de plus de 65 ans. Parmi les travailleurs à temps partiel, il existe aussi un groupe qui aimerait travailler davantage, à condition de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. »
3. l’inflation accroît les coûts salariaux
La fin annoncée de la pandémie ira de pair avec l’arrêt des mesures de soutien économique. Cela pourrait avoir un effet néfaste sur le nombre de faillites, d’autant que la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt mine encore plus les entreprises au niveau d’endettement élevé. « Ces dernières années, les taux d’intérêt bas ont maintenu artificiellement en vie de nombreuses entreprises », note Jan Denys. « La hausse des taux d’intérêt rendra plus difficile le remboursement des emprunts. Dans le même temps, nous sommes confrontés à une augmentation des coûts, notamment de l’énergie, comme chacun sait. Toutefois, le véritable impact se situe au niveau de l’inflation galopante, qui se traduit par des salaires plus élevés. Les entreprises qui ne peuvent pas répercuter la hausse des coûts de la main-d’œuvre sur leurs clients se retrouvent dans une situation précaire. Par conséquent, on assistera à une nouvelle vague de faillites. »
Jan Denys se refuse néanmoins à tirer de conclusions trop pessimistes. « Si cela reste limité, cela ne devrait pas représenter un gros problème. Étant donné que le marché du travail manque cruellement de candidats, les travailleurs qui perdent leur emploi doivent être en mesure d’en retrouver un rapidement. Par contre, si l’inflation se maintient, nous risquons d’entrer en récession. »
4. une mobilité professionnelle croissante
Les salariés qui perdent leur emploi ne sont pas les seuls à avoir de bonnes chances sur le marché du travail. Il existe également des opportunités pour ceux qui recherchent un nouveau défi de leur propre initiative. Pour les salariés, la mobilité professionnelle volontaire gagne en attractivité, ce qui n’a en soi rien de surprenant compte tenu de la reprise économique. Si les États-Unis sont aujourd’hui en proie au phénomène de la « Grande Démission » (Great Resignation), Jan Denys tient à relativiser l’impact de celui-ci en Europe. « Aux États-Unis, cela concerne principalement les personnes appartenant aux catégories salariales inférieures », explique-t-il.
« Profitant de la reprise, elles saisissent l’occasion d’améliorer leur situation financière. Il est difficile de parler de nouvelle priorité à cet égard. En Europe, on n’en est pas encore là, même si l’on peut s’attendre ici aussi à un accroissement de la mobilité professionnelle. Mais il faut bien voir que c’est un couteau à double tranchant : les entreprises peuvent aussi plus facilement débaucher des employés.
5. développer l’image de marque de l’employeur
Selon Jan Denys, si l’on dresse la liste de tous les défis à relever en 2022, on s’aperçoit que le développement de la marque employeur y occupe une place de choix. « Son importance en 2022 sera plus grande que jamais », conclut-il. « Une marque employeur forte assure non seulement de meilleures embauches, mais limite en outre les départs. Depuis l’an 2000, Randstad met l’accent sur cet aspect en y consacrant chaque année une étude. Les entreprises qui ont suivi nos conseils n’auront pas à le regretter en 2022. »