Il n'y a pas si longtemps, j'allais faire le plein d'essence dans la région de Turnhout. À ma surprise, c'est un préposé qui m'a servi à la pompe. Cela ne m'était plus arrivé depuis des lustres. Cet homme aimait-il son métier ? « Tant que mon chef le jugera utile et que ça m'amusera, oui. » Personnellement, je débourse volontiers 10 centimes d'euro de plus pour 3 minutes d'interaction humaine – le brin de causette – et le service. Mais ce type de boulots ne trouve plus sa place dans une économie dominée par les coûts. Nous souhaitons qu'il l'ait ?
Dans ce cas, dépenser un peu plus sera le prix à payer pour un marché du travail plus inclusif, qui donne leurs chances aux moins qualifiés et autres groupes à risque. Nous ne le souhaitons pas ? Alors il nous faudra accepter que ces gens intègrent difficilement la vie active. C'est l'une des problématiques fondamentales de la société polarisante dans laquelle nous vivons. Et dans laquelle Randstad peut apporter sa contribution positive, en accompagnant les groupes à risque, en encadrant le développement de nouvelles aptitudes, en offrant aux jeunes étudiants une expérience professionnelle pertinente… Le secteur de l'intérim a assumé un rôle social de plus en plus large, mais il nous sera impossible de résoudre à nous seuls ce problème de taille. Tous les acteurs doivent prendre leurs responsabilités.
Aujourd'hui, ces groupes vulnérables représentent près de 10% de nos travailleurs intérimaires. L'énorme majorité – à peu près 80% – des candidats utilisent encore le canal de l'intérim comme tremplin vers un emploi fixe. Il faut savoir qu'il n'y a jamais eu autant d'intérimaires (environ 108.000 par jour) employés à temps plein qu'en 2016. L'économie se redresse et la confiance regagne progressivement les employeurs, qui se remettent à recruter, avec plus ou moins de flexibilité. Cette variable d'ajustement n'est évidemment pas neuve, mais se fait plus structurelle, les entreprises préférant choisir un tampon pour pouvoir réagir agilement à un marché en mutation rapide. Nous remarquons parallèlement l'importance croissante du travail intérimaire comme étape intermédiaire dans une réorientation vers un nouvel emploi fixe – ce qu'on appelle la mutation du fixe au fixe.
« Les collaborateurs de la/des nouvelle(s) génération(s)s seront plus mobiles que jamais »
neutraliser les tensions
Je ne vous apprendrai rien en disant que toutes les évolutions qui se dessinent sur le marché du travail et dans notre secteur, comme dans tous les autres secteurs, sont fortement influencées par la numérisation galopante. Des emplois vont disparaître. Mais il est tout aussi vrai que de nouveaux se font jour. Nul ne peut prévoir le point de rupture ni le résultat final avec certitude. Pas plus moi que vous. Mais ce que je sais, c'est que notre métier va changer. Que nous allons digitaliser – lisez : automatiser – nos processus sans valeur humaine ajoutée ou « human value » afin de mieux répondre au besoin croissant de satisfaction instantanée de nos clients et candidats. Dans la foulée, le temps libéré par cette digitalisation nous permettra de nous investir davantage dans les relations humaines – ce qu'on appelle la « touche humaine ».
Notre métier n'est pas le seul à se modifier ; notre environnement de travail aussi. La pénurie continue de talents qualifiés, conjuguée à la volatilité des marchés commerciaux, pousse les start-ups et les scale-ups à s'intéresser toujours plus aux compétences personnelles (soft skills). Les connaissances dures ou le diplôme (hard skills) demeurent certes importants, mais ne sont plus aussi décisifs. Ajoutons que le fossé entre l'enseignement et le marché du travail se creuse insidieusement. Tout comme la distorsion entre la législation morcelée – et donc complexe – du travail en Belgique et la nécessité d'une simplification due à la rapidité des évolutions. C'est en partie notre job de contribuer à neutraliser ces tensions, tant chez le travailleur que chez l'employeur, et de débloquer les freins à la mobilité entre les différentes régions. Et en toute modestie, nous n'y réussissons pas trop mal.
nouvelle dynamique du travail
Je n'ai pas de boule de cristal, mais bien de l'espoir pour notre secteur en 2017. La décision du gouvernement flamand d'autoriser le travail intérimaire dans la fonction publique et les administrations locales peut agir comme un levier. Au niveau fédéral aussi, une réglementation est en préparation. Les autorités ne peuvent plus ignorer la réalité, de même que la nécessité d'accroître la flexibilité et la maniabilité dans leurs propres rangs. Saviez-vous d'ailleurs que Louis Tobback, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur et de la Fonction publique dans les années nonante, l'avait déjà compris ? Seulement voilà, les arrêtés d'exécution n'ont jamais suivi.
Quoi qu'il en soit, nous évoluons vers une nouvelle dynamique du travail. L'emploi à vie n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Les collaborateurs de la/des nouvelle(s) génération(s) seront plus mobiles que jamais, ne cesseront de se réorienter – tous statuts de travail confondus – et apprendront à apprendre toute leur vie dans un marché davantage axé sur les compétences. Le monde change trop vite pour ne pas avancer. Freiner n'est pas une solution. À nous, Randstad, autorités, partenaires sociaux, employeurs… de veiller à optimiser ensemble les conditions-cadres et de renforcer la recrutabilité, l'agilité et les chances de tous les groupes dans un climat de respect pour nos visions, intérêts, valeurs et normes respectifs.
Eddy Annys – Managing Director Randstad Belgique